Les rapports entre le droit et la musique

Prélude
« C’est la plus radicale manière d’anéantir toute argumentation
que de séparer chaque chose de toutes les autres,
car la raison nous vient de la liaison mutuelle entre les choses.
Platon, Le Sophiste, 259 e.
A priori tout ici est dissonance.
La musique passe d’abord par un sens et peut émouvoir le corps autant que séduire l’esprit. Le droit semble davantage solliciter ce dernier, même s’il ne néglige pas le corps, qu’il l’afflige par la peine, le délivre de la servitude ou en contraigne le plaisir en réglementant la sexualité. Mais pour le droit, le corps n’est qu’un objet éventuel d’application, alors qu’il constitue le medium obligé de la musique, même si dès qu’elle est perçue, l’esprit s’en empare et la tamise dans ses catégories culturelles. Par ailleurs la musique ne vise pas à établir la justice [1], dont se soucie le droit. Elle aurait en revanche plus à voir avec l’ordre [2], fonction non moins fréquente du droit, car les dirigeants politiques et spirituels cherchent souvent à l’utiliser. Mais le besoin d’ordre est aussi interne à la musique : d’où les réflexions fréquentes sur la notion d’harmonie, que Rameau porta à son paroxysme [3]. Notons aussi que si l’interprétation est créatrice dans ces deux disciplines [4], on a du mal à repérer en musique l’équivalent de l’autorité normative des hautes juridictions (sauf à supposer que le Conservatoire possède l’autorité de la Cour de Cassation…).
Ajoutons que si la plupart des grands penseurs politiques établissent un lien entre leurs théories de l’art et du droit [5], l’enseignement de l’histoire des idées politiques n’en fait guère cas. Enfin, toute une partie de notre droit positif ignore délibérément la notion de valeur esthétique. Si au XIXe siècle on pensait que la protection légale au titre de la propriété artistique ne pouvait pas bénéficier aux auteurs d’oeuvres à fins purement utilitaires, la théorie de “l’unité de l’art” de de a fini par l’emporter : il n’appartient pas au juge de tracer les limites de l’art. La loi du 11 mars 1957 dit clairement que la “destination” de l’oeuvre est indifférente : l’oeuvre protégeable n’a pas à être nécessairement artistique. Une exception de taille, cependant, à cette indétermination : le droit de l’urbanisme [6], qui prend parti sur la conformité des immeubles à certains canons esthétiques, notamment envisagés dans le cadre des traditions locales (il peut être impossible de construire une villa du style de l’Île de France dans un lotissement provençal). Il faut y ajouter d’autres pratiques, telles que les oeuvres de commandes, les subventions et autres faveurs fiscales à la création.
Pis encore, musicologie et science du droit se rejoindraient dans une conception uni-disciplinaire de leur objet. L’histoire de la musique apparaît trop souvent comme celle de successions de formes, de même que l’évolution du droit a longtemps été enseignée comme celle d’une mathématique de normes dérivées de modèles idéaux (assimilation du droit romain à la ratio scripta, et, plus près de nous, édification de la pyramide kelsenienne). D’où une méfiance partagée envers certaines approches “impures” visant à introduire les déterminations sociales et politiques dans les processus d’élaboration des formes et des normes : l’approche sociologique n’est guère prisée par les tenants de l’art pour l’art, en musique comme en droit.
Certains témoignages, à vrai dire peu convaincants, laissent cependant entrevoir des formes d’union entre la musique et le droit. Cicéron assure qu’on chantait la loi des XII Tables [7]. Au XIXe, époque du romantisme, J.Grimm tient que les premiers recueils de lois furent composés sous forme de chants [8], par des peuples empreints d’une poésie naïve et primitive. Faut-il aussi invoquer une autre forme de chant, celle de la versification ? Elle put donner quelques résultats [9]. Mais le pire y est présent, comme cet extrait du Code civil qui versifie la présomption de paternité de l’art. 312 :
“ Conçu quand de l’hymen brille encore la lumière,
L’enfant, dans le mari, doit reconnaître un père ” [10].
À un degré plus élevé, on se réjouira de constater que la musique est fermement ancrée dans le bloc de constitutionnalité : la constitution de 1946 (Titre premier, art. 2) et celle de 1958 (Titre premier, art. 2) proclament initialement et en des termes identiques que “L’hymne national est la Marseillaise”, rappelant ainsi que la plupart des nations associent leur identité à une musique particulière. On ajoutera d’ailleurs que l’accord de 1998 sur le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie prévoit pour ce “pays” [11] en évolution vers une éventuelle indépendance la recherche d’un hymne parmi d’autres signes identitaires. Cependant, tout laisse à penser qu’il est davantage ici question de nation qu’à proprement parler de musique… D’ailleurs, le juge constitutionnel n’a jamais jusqu’ici statué sur elle.
Faut-il décidément restreindre le champ de la conjugalité de la musique ? Souvenons-nous d’abord que jusqu’au XVIIIe siècle on est naturellement pluridisciplinaire : les grands auteurs parlent aussi facilement de physique, musique et philosophie. D’autre part, la musique est fortement intégrée aux autres arts, qu’il s’agisse des mathématiques ou de la poésie [12]. Beaucoup de peintres ont insisté sur les rapports entre la peinture et la musique [13] ; ils représentent fréquemment musiciens et instruments de musique. Arrêtons-nous un instant sur un tableau célèbre, les Noces de Cana, peint en 1563 par Véronèse. Sous un prétexte religieux, il s’agit en fait d’un banquet païen où sont mis en scène les membres de l’intelligentsia et les politiques influents. Devant la table un groupe de musiciens… qui sont en réalité des peintres. Tintoret joue du violon [14], Titien du violone [15], Bassano du cornet, et Véronèse lui-même de la viole ténor : la fusion des arts [16]. Quant à l’architecture, elle fait figure de cousine germaine. On se souvient d’Amphion, le fils d’Antiope et de Jupiter : au son de sa lyre, les pierres s’assemblaient pour former les murailles de Thèbes. Au XVIe, le célèbre architecte Andrea Palladio (1508-1580) écrit :
“Les proportions des voix sont harmonie pour les oreilles, celles des mesures sont harmonie pour les yeux. De telles harmonies plaisent souvent beaucoup sans que quiconque sache pourquoi, à l’exception du chercheur de la causalité des choses” [17]. Plus tard, Schelling (1775-1854) [18] écrira : “L’architecture est une musique figée ”. On a par ailleurs pu interpréter les rapports entre l’avènement de la perspective et celui de la tonalité comme une conséquence du primat de la subjectivité [19]. En effet, l’élaboration de la perspective à foyer central constitue une innovation décisive. L’oeuvre devient une portion du monde présentée à partir du point de vue d’un individu particulier, à un moment donné et dans un lieu précis
A priori moins heureux que les architectes, nous allons cependant partir à la rencontre de la musique.
La démarche n’est pas aussi novatrice qu’il n’y paraît. Il y a peu, une revue américaine a publié les actes d’un colloque tenu en 1998 à la Cardozo Shool of Law, consacré aux rapports entre la musique et la théorie du droit [20]. L’idée de relations entre la musique et le droit remonte même au Moyen-Age : à la fin du XIVe siècle, un auteur anonyme écrit un traité sur la question [21],
et d’autres auteurs médiévaux s’engageront dans la même voie [22]. À la croisée des deux derniers siècles, H.Schenker (1868 –1935) est un auteur particulièrement intéressant pour notre propos [23], même si nous ne pouvons plus souscrire à la plupart de ses conclusions. Il décrit la musique comme un corpus juridique, procède à des parallèles rien moins qu’étonnants : chaque ton est par rapport au système général de la tonalité dans une relation équivalente à celles qui associent l’individu à l’Etat ; la musique “chaotique” des sociétés primitives est l’expression du désordre antérieur à la découverte du système tonal, seul capable d’aménager des rapports harmonieux, civilisés -consonants- entre les tons, expression des lois éternelles de la nature. Schenker n’étant pas un démocrate, il tient que l’ordre naturel est et doit rester hiérarchique : de même qu’un individu n’en vaut pas un autre, il n’y a pas de démocratie tonale. Il n’y a qu’une minorité de tons qui jouent un rôle réellement structurel. Il est donc totalement opposé à la musique atonale d’Arnold Schoenberg et de son école. W.Alpern souligne par ailleurs les similitudes entre les visions hiérarchiques de la musique propres à Schenker et les représentations du système juridique formulées par Kelsen à la même époque [24].
Au XXe siècle, le courant des auteurs partisans d’une parenté entre le droit et la musique n’est pas tari [25]. Ils cherchent dans la musique des métaphores et des exemples propres à appuyer leurs théories juridiques sur l’interprétation. Certains, comme J. Frank, mettent en parallèle les facultés créatives de la jurisprudence et de l’interprète en musique [26]. Mais la plupart partagent une vision commune du droit et de la musique : celui-ci consiste essentiellement en un commandement impératif, de même que le texte musical écrit -la partition- s’impose à l’interprète [27]. Plus récemment, Timothy S.Hall plaide au contraire en faveur de leurs commune autonomie par rapport au texte écrit [28]. Il insiste sur les possibilités données à l’interprète par des techniques telles que la basse continue, l’ornementation, les cadences, l’improvisation, et sur le relativisme de toute notion d’authenticité en musique. Il établit une analogie entre ces formes d’autonomie de l’interprète et le type de relations juridique unissant des co-contractants. Ces derniers s’exécutent beaucoup moins par crainte d’une éventuelle sanction qu’en raison d’un intérêt commun. En cas de difficultés, on se référera moins à la lettre du contrat qu’à l’intention des parties. De même, en musique, l’interprétation résulte d’une rencontre entre la volonté du compositeur et l’interprétation de l’exécutant, non d’une copie conforme de la partition. On pourrait poursuivre ce parallèle en soulignant les possibilités créatrices de l’interprétation dans divers domaines. Certainement en droit, dont l’histoire montre abondamment que la règle de droit évolue au moins autant par réinterprétation d’un texte originel que par son remplacement par un autre. De même, les trois cinquièmes des sculptures de Michel-Ange sont inachevées, non par négligence, mais parce que l’artiste avait compris intuitivement ce qu’a découvert la neurologie moderne : le cerveau supplée de lui-même à certains “manques” de la réalité [29]. En musique, les Suites pour violoncelle de Bach participent au même phénomène : bien que l’instrument soit moins polyphonique qu’un orgue ou qu’un clavecin, le caractère contrapunctique de la musique n’en est pas affecté à l’audition.
On notera enfin qu’aux États-Unis, les recherches sur les rapports entre droit et musique possèdent des liens certains avec le courant très développé outre-Atlantique (mais fort peu en France) portant sur la littérature et le droit [30].
Notre démarche dans les lignes qui suivent s’orientera dans d’autres directions.
Non pas en recherchant d’emblée un accord – fût-il mineur -mais plutôt en esquissant une polyphonie. La musique et le droit : à chacun sa voix, mais elles peuvent se rejoindre, s’éloigner et se retrouver au cours de l’histoire. Mais de quoi tisser notre fil d’Ariane ? Répétons-le, les objets semblent radicalement différents et l’espoir d’une grammaire commune [31] s’en trouve peut-être ab initio annihilé. D’autant plus que nos compétences sont celles d’un juriste, par ailleurs praticien très peu éclairé de certains arts musicaux, et non d’un musicologue. D’où deux parti-pris. Le premier consiste à penser que nos lecteurs seront plus probablement issus de notre sérail, juristes davantage que musicologues. Pour les convaincre de notre approche, nous avons donc consacré des développements plus amples à l’histoire de la musique qu’à celle du droit, risquant ainsi de trop peu éclairer les protégés d’Euterpe sur les mystères de Thémis. Que les premiers veuillent bien nous en excuser. D’autre part, toujours pour favoriser le dialogue, il nous a paru sage d’adopter l’angle très général de l’histoire des idées. Plus précisément d’une idée, celle de raison, compagne plus ou moins fidèle de la nature. Avec ces deux termes, nous entrons dans le monde incertain des signifiants flottants. La nature peut attendre : elle se dévoilera au fil des lignes. Mais la raison – cela tient à son essence – est plus impérieuse, entourée de ses satellites (rationalisme, intelligibilité, compréhension, etc….). Commençons par la définition la plus large, celle des philosophes [32]. La consultation d’un dictionnaire classique du début du siècle, le Lalande [33], laisse perplexe. En tant que faculté, la raison est, selon les auteurs, la faculté de combiner concepts et propositions ; de discerner le bien du mal ; ou apparaît comme un ensemble de principes logiques dont les bases sont innées et permettent la compréhension du monde (Kant). Lalande se risque lui aussi à la définir : “corps de principes établis et formulés dont la transformation est assez lente (…) pour qu’ils puissent être considérés comme des vérités éternelles [34]”, ou encore systématisation des connaissances et des conduites [35]. Le rationalisme serait l’exacerbation de la raison, la doctrine selon laquelle tout a sa raison d’être ; tout est intelligible, c’est-à-dire réductible aux lois essentielles de la pensée.
L’étymologie nous indique une direction voisine : la ratio, c’est le calcul (les livres de raison : des documents comptables), la faculté d’organiser, d’ordonner. Mais depuis Cicéron, la raison signifie aussi le logos grec : un discours cohérent, une énonciation sensée.
Ces quelques définitions nous paraissent en tout cas mettre l’accent sur deux points essentiels. D’une part, la raison implique la possibilité technique d’une mise en système, d’où l’allégorie chérie des juristes, le corpus. D’autre part, elle suppose une relation dualiste entre le sujet connaissant et le monde, objet de sa connaissance. Or l’activité du sujet n’a de sens que si le monde est connaissable, c’est-à-dire rationalisable. Il est conçu par nature comme raisonnable, se prêtant à ce type de démarches explicatives. On peut toujours discuter pour savoir s’il possède un sens : au moins obéit-il à une ou des logiques.
Nous voici donc sur un terrain moins fuyant, plus propice à la conversation entre le musicologue et le juriste. Ce dernier, du moins dans l’Occident moderne, se figure l’homme qualifié par le droit comme un être cartésien [36], défini par des concepts (le sexe, la capacité, la personnalité, les droits, les obligations, etc.) qui déterminent la prévisibilité, donc la rationalité, de ses comportements. Mais qu’en est-il plus précisément de la raison pour les juristes ? A.J. Arnaud la définit à partir de concepts similaires [37] à ceux que nous venons d’énumérer. Le droit rationnellement conçu forme un système dont la cohérence résulte des relations rigoureuses entre les termes visant à l’accomplissement de certaines fins. Les fonctions de la raison juridique consistent dans la systématisation de la connaissance et celle des raisonnements et des conduites. Une des images aujourd’hui les plus fidèles de cette systématisation réside dans la hiérarchie normative imaginée au début du siècle sous la forme d’une pyramide (une géométrisation de l’ancien corpus) par le théoricien du droit H.Kelsen.
Mais la raison du philosophe et celle du juriste sont perméables à l’histoire. C’est avec les Grecs que le monde est le plus ouvert à la raison, même s’il n’est jamais directement saisissable. Le chemin de l’homme au monde s’allonge avec l’entrée en scène du christianisme. Car il y a eu la faute, le péché originel, qui porte son ombre sur un monde traversé désormais jusqu’à la fin des temps par les forces contraires du mal et de la mort. Ce monde reste raisonnable, car même corrompu, il a été créé par Dieu. Mais il n’est plus connaissable sans la foi en la Révélation. Le monde est donc à la fois opaque et signifiant : il ne se révèle que par l’interprétation des signes que perçoivent nos sens. Durant tout le Haut Moyen-Âge, la raison participe peu à cette révélation. Mais à partir du XIIe siècle les choses changent. Réhabilitée, elle apporte son concours à la foi, avec laquelle elle converge. Le reste de l’histoire la verra prendre son autonomie, en même temps qu’elle se donnera les moyens techniques des systématisations dont elle est grosse.
Du côté des juristes, M.Villey date du début des temps modernes les tentatives philosophiques de rationalisation du droit [38]. La première serait celle de l’Ecole du droit naturel en Europe continentale, dont les auteurs (Leibniz, Pufendorf, Wolff [39]) présentent leurs œuvres more geometrico, comme des axiomes, postulats et autres théorèmes. Tendance qui aboutit à la fin du XVIIIe siècle aux codes et traités censés d’application universelle et uniforme. La deuxième est le droit utilitariste cher aux auteurs anglais (Hobbes, Locke, Bentham) : l’homme recherche le bonheur ; l’expérience apprend les besoins à satisfaire, la raison calculatrice met en oeuvre les moyens pour y parvenir. Enfin le modèle positiviste du XIXe, décalqué des sciences naturelles : Savigny et les pandectistes assignent à la doctrine la tâche prométhéenne de construire le système, la “ dogmatique ”, à partir des données historiques brutes.
Si ces trois courants sont indéniables, il est à notre sens exagéré de borner la rationalisation juridique aux temps modernes, sauf à la considérer strictement sous l’angle des doctrines philosophiques. À Rome, la rationalisation du droit par les jurisconsultes est bien réelle. La nécessité procédurale de rédiger les plaintes en des termes spécifiques fait d’eux des spécialistes d’un langage, qui opère la formalisation des concepts juridiques, comme l’a montré M.Weber [40]. Dans la période médiévale, qui nous importe davantage ici, la constitution des droits savants, la généralisation de l’écrit, les rédactions officielles de coutumes constituent indéniablement des mouvements déterminants de rationalisation du droit, procédant de convictions et d’intentions clairement affichées qui s’incrustent dans les philosophies existantes.
Mais retrouve-t-on en musique la place donnée à certaines époques à la raison par la philosophie et le droit [41] ? Notre sensibilité en la matière, héritée du romantisme du XIXe siècle, nous incline à une réponse négative. Et pourtant largement erronée : pendant la plus grande partie de son histoire, la réflexion sur la musique a elle aussi été traversée par la quête du sens, au delà des vertus dyonisiaques du son.
Juristes savants et musicologues sont finalement en face du même type de problème. Comment expliquer que les comportements humains doivent s’ordonner d’une certaine manière et pas d’une autre (le droit est un devoir-être) ; pourquoi un certain ordonnancement de sons est-il harmonieux (donc souhaitable) ou non ? [42] Les principes fondamentaux des réponses possibles ne sont au fond pas si nombreux. Par exemple : la volonté divine, la nature humaine (intellectuelle et/ou biologique), la tradition. Au moins les trouve-t-on fréquemment cités dans l’histoire de la culture occidentale. Il est donc intéressant d’étudier si juristes et musiciens les ont employés, s’ils l’ont fait en même temps et dans les mêmes buts. En somme, établir une périodisation, certes très schématique. Mais si notre démarche est historique, cet essai d’interprétation sera marqué par le synchronisme. D’une part, parce que l’évolution de ces concepts n’est pas unilinéaire. On ne progresse pas de la confusion vers la raison, de l’émotion vers l’ordre par on ne sait quel décret. La rationalité connaît des poussées et des déclins, la nature change de fondement. La raison et ses contraires existent à toute époque, c’est seulement la ligne de partage qui change de dessin. D’autre part, parce que nous cherchons à vérifier si on peut déceler des approches similaires dans deux domaines différents, et, dans l’affirmative, établir une certaine synchronicité de leurs évolutions.
La période de l’Antiquité demeure assez mal connue [43].
La rationalisation de la musique dans la Grèce ancienne apparaît avec Pythagore (580-500), dont Aristoxène dira plus tard qu’il a “élevé l’arithmétique au-dessus des besoins des marchands ”. Pour le sage de Samos, le nombre est l’essence des choses, les mathématiques peuvent rendre compte de l’ensemble de l’univers. Et donc de la musique. Aristote résume clairement la pensée du maître (Pythagore n’a laissé aucun écrit) : “ Comme ils [les Pythagoriciens] voyaient, en outre que des nombres exprimaient les propriétés et les proportions musicales ; comme, enfin, toutes les autres choses leur paraissaient, dans leur nature entière, être formées à la ressemblance des nombres, et que les nombres semblaient être les réalités primordiales de l’univers ; dans ces conditions ils considéraient que les principes des nombres sont les éléments de tous les êtres, et que le ciel tout entier est harmonie et nombre ” [44]. Cette approche est totalisante et ne concerne pas que les objets physiques, mais tout ce qui possède une structure définie : il y a un nombre de la justice, un nombre du mariage. Elle s’applique en tout cas à la musique (les pythagoriciens constituent la première école philosophique possédant une véritable théorie sur la musique [45]), où Pythagore découvre la relation existant entre les consonances et les rapports de fréquence (il les exprime de façon inverse, en longueurs de cordes vibrantes). L’harmonie est conçue comme la structure engendrée par les rapports entre les sons, dont l’ordonnancement n’est qu’une image -en quelque sorte fractale- de celui de l’univers. Les sons et les mouvements des planètes sont régis par les mêmes lois. Il y a une “musique des sphères”… Ces représentations eurent un grand succès dans l’histoire de la philosophie. Le Timée de Platon (IVe siècle av. J.-C.) les reprennent, comme plus tard Boèce (480-524 après J.-C.). Pour autant, elles ne font pas l’unanimité chez les Grecs eux-mêmes. Aristoxène de Tarente (vers 350 av. J.-C.) réagit contre le dogmatisme pythagoricien, en faveur des sentiments [46] et de l’expérience. Il fait des adeptes, au point qu’on distinguera par la suite entre ses disciples, les harmonistes par oreille, et ceux de Pythagore, les harmonistes par calcul.
Quelle fut l’influence de Pythagore sur la pratique de la musique grecque ? Nous ne semblons guère le savoir… Si des témoignages assurent qu’au siècle de Périclès la musique était aussi brillante que les autres arts, elle ne connut pas d’innovation théorique majeure et l’existence d’une notation reste conjecturale (nous n’en connaissons de façon explicite qu’à partir du IIIe siècle av. J.-C.).
En revanche, les aspects philosophiques de sa pensée sont déterminants pour notre sujet. Car selon Pythagore, seule une musique idéale peut coïncider avec l’harmonie : la véritable musique ne peut s’entendre. Les influences des doctrines pythagoriciennes sont très nettes dans la pensée de Platon. Celui-ci donne plusieurs définitions de la musique suivant ses oeuvres. Il la condamne dans la République (dans la mesure où elle peut n’être qu’un simple divertissement), mais lui donne le statut de science et la rapproche de la philosophie dans le Phédon quand elle ne s’adresse pas seulement aux sens. L’oreille ne perçoit que la forme la plus frustre de la musique. La véritable musique n’existe que dans l’esprit, c’est celle des philosophes, l’harmonie. Elle reflète l’harmonie de l’âme et celle de l’univers, qu’elle unit. Aristote a de la musique une conception plus empirique et insiste surtout sur ses liens avec le plaisir, considérés d’ailleurs à des fins éducatives. Au total, le courant platonicien l’emportera dans l’histoire postérieure de la philosophie. Pour Plotin (205-270), la musique continue à être “… la représentation terrestre de la musique existant dans le rythme du royaume idéal” [47]. L’art grec confirme le dualisme platonicien. Il s’est pas donné comme but le pur naturalisme, c’est-à-dire l’imitation du monde sensible. La nature qui est visée, c’est l’essence interne, idéale, des choses [48].
Ce dualisme va influencer les théories musicales pendant des siècles. Saint Augustin distinguera lui aussi entre deux musiques. Celle qu’on écoute, qui plaît aux sens : elle donne du plaisir, mais il faut s’en méfier car elle peut détourner de la quête spirituelle. À celles-ci participent seulement la véritable musique, qui est la “science du mouvement bien réglé et recherché pour lui-même” [49], c’est-à-dire, suivant les préceptes de Pythagore, la connaissance de rapports numériques validés par la raison. Mais le Moyen-Age retiendra surtout la pensée de Boèce (480-524), formulée quelques décennies plus tard. Ici encore, nous trouvons l’identification de la véritable musique à l’harmonie cosmique, la musique des sphères, que Boèce nomme musica mundana. Elle peut être approchée à travers la musica humana, que l’homme peut atteindre à travers l’introspection lui permettant d’unir l’âme avec le corps. À un rang très inférieur vient la musica instrumentalis, celle qui parvient à l’auditeur par l’ouïe. Elle n’est pas véritablement digne d’intérêt. Boèce va jusqu’à écrire :
“Il est beaucoup plus urgent et important de savoir ce que l’on fait que de mettre en pratique ce que l’on sait ; car l’habileté du corps doit être traitée en esclave, alors que la raison commande presque en souveraine” [50].
Le cheminement de la réflexion est-il parallèle dans la philosophie du droit ? Il semble bien que oui.
D’abord, comme dans tout le bassin méditerranéen, on attribue aux dieux l’origine du droit. Le mouvement de laïcisation de la loi commence vers les années 500, avec Héraclite d’Ephèse : la loi ne découle pas seulement de la volonté divine, mais elle est une condition de la vie sociale. Pour autant, une filiation n’anéantit pas l’autre : le droit est à la fois de ce monde et de celui des dieux, d’où un dualisme fondamental qu’on va retrouver dans les théories du droit naturel, appelées à une longue postérité, vivante encore aujourd’hui. Le conflit éventuel entre ces deux aspects du droit apparaît dans l’Antigone de Sophocle (vers 442). Pour celui-ci, les lois “non écrites” sont d’origine divine, universelles, car elles expriment l’harmonie du cosmos. Elles peuvent donc s’opposer aux lois faites dans chaque cité, qui ont un caractère beaucoup plus circonstanciel. Quelques décennies plus tard, Platon écrit les Lois (vers 355-350). Le droit naturel est édicté par la raison, commune à tous les hommes, car elle fait partie de leur nature. Il constitue un ordre juridique supérieur à la volonté contingente du législateur. Aristote reprendra ce dualisme en distinguant la loi naturelle, universelle, des lois humaines, positives. Les juristes romains recevront ces doctrines [51]. Pour eux aussi le droit naturel exprime une harmonie cosmique, que la raison peut découvrir : un ordre latent, qu’ils traduiront en droit écrit, “une copie imparfaite”.
On constate donc dans les différents champs du savoir et de l’art une représentation dualiste du monde. L’ordre, la justice, la beauté ne peuvent être déduits des seules apparences, de la seule expérience des sciences. Ils doivent se référer à une réalité supérieure, au monde des dieux ou à celui des idées. Toute la philosophie occidentale, y compris dans ses rapports avec la musique ou le droit, va être marquée par ces attitudes, bien longtemps après que le monde antique ait disparu. Mais elles vont être réinterprétées dans un contexte chrétien, de même que le droit romain devra sa longue survie à tout un processus intellectuel d’adaptation aux conditions nouvelles, celles de l’Europe médiévale. Dans tous ces processus qui conduisent jusqu’à nous, le rôle de la raison apparaît déterminant, tout au moins à partir du moment où la civilisation occidentale s’éveille à nouveau, après la longue période du Haut Moyen-Âge, vers le XIIe siècle. Avant, le monde est opaque. Si sa réalité n’est cependant pas inaccessible, la raison n’en est pas a priori le chemin. Puis, elle s’allie à la foi dans un âge d’équilibre qui se termine à la fin du XIIIe siècle, dont les dernières décennies sont celles d’un bonheur qui rayonne dans les arts et la philosophie. À partir du XIVe, les représentations dominantes du monde commencent la longue mutation qui va mener d’un monde pour Dieu à un monde pour l’homme : la voix profane s’ouvre. Elle s’élargira à la fin du Moyen-Âge avec la montée de l’individualisme, sous l’influence de la Réforme et, un peu plus tard, des idées humanistes de la Renaissance. Dès lors, le rôle de la raison s’accroît, dans les arts, la philosophie et le droit. Il semble qu’elle arrive à son zénith au XVIIIe siècle, tout particulièrement en France. Puis, à partir des années 1750, la décrue s’amorce et l’on peut parler de son refoulement. Nous y sommes encore…
Nous distinguerons donc deux parties dans notre cheminement historique. La première sera consacrée à la période qui va du XIIe au XVIe siècles, celle d’un monde balançant entre Dieu et l’homme. La deuxième, du XVIIe au XXe, verra la splendeur et le naufrage de la raison.
[1] Elle peut parfois l’accompagner, comme les roulements de tambour lors des exécutions capitales.
[2] Depuis Platon jusqu’à l’ayatollah Khomeini (aujourd’hui encore en Iran, une femme ne peut chanter en public, sauf devant un auditoire exclusivement féminin) en passant par Staline et les nazis ( ces derniers avaient classé la musique dodécaphonique dans l’ “art dégénéré”, auquel ils consacrèrent une grande exposition à Munich en juillet 1937 ; ils créèrent aussi une Chambre de l’art allemand, chargée sur le modèle soviétique d’enrégimenter les peintres. Haendel, pourtant saxon bon teint, dut ainsi subir une cure d’aryanisation : son Judas Maccabée fut transformé en Wilhelm von Nassau, Israël en Égypte devint le Mongolensturm, moyennant quoi Ribbentrop en fit dans un discours prononcé à l’université d’Oxford en 1939 un compositeur d’obédience national-socialiste… alors que Haendel avait toujours été reconnaissant aux Juifs du soutien qu’ils avaient apporté à ses activités musicales (cf. J.Keates, G.F.Haendel, Paris, Fayard, 1995,415). Pour plus de détails, cf. Hildegarde Brenner, La politique artistique du national-socialisme, Paris, Maspero, 1970 ; cf. aussi M.Chimènes (dir.), La vie musicale sous Vichy, à paraître aux Éditions Complexe, fin de l’année 2000 ; on se souvient enfin que Wagner avait écrit un ouvrage sur le judaïsme et la musique.), la musique est réglementée par les pouvoirs autoritaires, qui peuvent déterminer les “bonnes” et “mauvaises” musiques. L’Eglise a montré en la matière une attitude constante. Reconnaissant le pouvoir de la musique, elle a souvent légiféré afin de l’orienter vers les buts poursuivis par la religion : elle commande à l’artiste (cf. L.Depambour-Tarride, Musique et droit : l’exemple du droit canonique, dans : H.Dufourt-J.M.Fauquet (dir.), La musique : du théorique au politique, Paris, Klincksieck, 1991,34). Au Vatican, l’opéra est frappé d’interdit par le pape Innocent XI (1676-1689). On sait par ailleurs combien Louis XIV était attaché à l’organisation institutionnelle des arts : né sous son règne, l’opéra français servit sa propagande. Napoléon s’est également intéressé à la musique. Il déclarait : “… de tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d’influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager”, ( cit. par T.Fleischman, Napoléon et la musique, Bruxelles et Paris, Brepols, 1965,17). Au plus fort de sa gloire, après avoir occupé l’Espagne, il commande en 1809 à Spontini un opéra dont il choisit lui-même le sujet : Fernando Cortez ou la conquête du Mexique.
On trouvera d’amples développements sur les rapports entre l’art et les dictatures du XXe siècle (nazisme, fascisme et stalinisme) dans : Kunst und Diktatur, Architektur, Bildhauerei und Malerei in Österreich, Deutschland, Italien und der Sowjetunion 1922-1956, 2 Bd., Verlag Grasl, Baden, 1994, (malheureusement, la musique ne fait pas partie des arts étudiés).
De plus, la même oeuvre musicale peut changer de signification suivant son appropriation politique. Aujourd’hui symbole de la démocratie européenne (en tante qu’hymne officiel de l’Europe, l’hymne à la joie de la IXème symphonie de Beethoven fut promu sous le IIIe Reich comme signe de la supériorité germanique, avant d’être accaparé par la peu démocratique Rhodésie. (Pour plus de détails, cf. Esteban Buch, La Neuvième de Beethoven-Une histoire politique, Paris, Gallimard, 1999).
[3] Cf. infra, p…….
[4] On a pu cependant soutenir l’unité fondamentale de l’activité d’interprétation, qu’elle s’exerce dans le domaine juridique ou artistique : cf. E.Betti,Teoria generale de l’interpretazione, Milano,Giuffrè, 1955, (2 vol.) ; R.Dworkin, L’Empire du droit, Paris, PUF, 1994, 60 sq. On notera par ailleurs que les réalistes américains ont été influencés par l’interprétation en musique cf. : Jerome Franck, Say it with Music, Harvard Law Review, vol. LXI, 1948, 1-25, (cet auteur était un des grands noms du courant réaliste).
[5] Cf. O.Cayla, La souveraineté de l’artiste du “second temps”, Droits, 1990/2, 130. Il y a une quinzaine d’années, E.Kantorowicz avait montré l’influence à la Renaissance de l’évolution doctrinale des légistes sur la théorie de l’art : cf. E.Kantorowicz, La souveraineté de l’artiste, dans : Mourir pour la patrie, Paris, PUF, (Pratiques théoriques), 1984, 31-57.
[6] Cf. en ce sens : G.Cornu, Droit et esthétique – Présentation, ibid., 10.
[7] La Loi des XII Tables, qui date du milieu du Ve siècle av. J.-C., est le premier grand monument législatif romain.
[8] Cf. Jacob Grimm, Von der Poesie im Recht, Zeitschrift für geschichtliche Rechtswissenschaft, tome II, 1815 et Kleinere Schriften, 1864 et s., tome VI, 152-191.
[9] Cf. A.Laingui, La poésie dans le droit, Archives de philosophie du droit, 40,1995, 132-143 ; Les adages du droit pénal, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1986, 25 sq. ; L’adage vestige de la poésie du droit, Mélanges en l’honneur de Jean Imbert, 1989, 345 sq. Il semble assuré que les lois de certains législateurs antiques furent versifiées, en Occident et ailleurs : Charondas, Lycurgue, Dracon (Grèce) ; Manou (Inde).
[10] Ces vers inoubliables (et bien d’autres…) sont dûs à B.M.Decamberousse, Le Code Napoléon mis en vers français, 1811,rééd. avec une préface de M. Garçon en 1932.
[11] C’est le terme employé dans le texte.
[12] Cf. l’importante étude de F.Sabatier, Miroirs de la musique-La musique et ses correspondances avec la littérature et les beaux-arts, Tome I : XVe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1998 ; Tome II : XIXe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1995. Dans le Tome I (25-27), l’auteur présente un Tableau des principales correspondances entre la musique, la littérature et les beaux-arts. Cf. également J-Y.Bosseur, Musique et Beaux-Arts, de l’Antiquité au XIXe siècle, Paris, Minerve, 1999.
[13] Au XVIe siècle déjà Arcimboldo imagine un système d’équivalences entre valeurs graduées du noir au blanc et hauteurs de sons. En 1725, le mathématicien jésuite Louis Bertrand Castel conçoit un Clavecin pour les yeux avec l’art de peindre les sons et toutes sortes de pièces de musique. Mais c’est surtout à partir de l’époque romantique que la synesthésie, basée sur l’analogie des sensations visuelles et sonores, connaît une grande vogue (cf. J-Y. Bosseur, Musique et Beaux-Arts, de l’Antiquité au XIXe siècle, Paris, Minerve, 1999, 146-177.
[14] On sait qu’il organisait des concerts à Venise et jouait du luth (cf. J-Y.Bosseur op.cit., 74).Chopin a déclaré à Delacroix qu’il voyait en bleu sa note favorite, le sol. D’après A.Kerssemakers, un familier de Van Gogh, ce dernier faisait constamment des rapprochements entre la peinture et la musique : “C’est pour avoir encore une plus juste compréhension de la valeur et des nuances des tons, qu’il prits des leçons de piano chez un vieux professeur de musique (…) Vincent, pendant ses leçons, comparait tout le temps les sons du piano à du bleu de Prusse, à du vert émeraude, ou à de l’ocre ou à du cadmium.”, (V.Merlhès, Paul Gauguin et Vincent Van Gogh, 1887-1888,Lettres retrouvée, sources ignorées, Paris, Avant et après, 1989).
[15] Contrebasse de viole à six cordes, accordée une octave au-dessous de la basse de viole. Cet instrument fut notamment employé par Jean-Sébastien Bach dans ses Concertos brandebourgeois.
[16] Pour un exemple historique de parallèle entre la musique et la peinture, cf. A.Pham, Venise-Musique et peinture du XIVe au XVIIIe siècles, Opus 111, Paris, 1998.
[17] A.Palladio, Mémoire sur l’architecture, 1567.
[18] À la même époque, Hegel rapproche aussi musique et architecture dans ses Leçons sur l’esthétique.
[19] Cf. E Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, Flammarion, 1976, 139-240.
[20] Modes of Law : Music and Legal Theory – An Interdisciplinary Workshop, Cardozo Law Review,Vol.20, nos.5-6,may-july 1999. Des résumés des articles sont consultables sur le site Internet de la
Revue : www.cardozo.yu.edu./carldrev/v20n5-6/v20n5-6.html
[21] Ars cantus mensurabilis mensurata per modos iuris, C.Matthew Balensuela ed., transl., 1994.
[22] Cf. Timothy S.Hall,The Score as Contract, CardozoLaw Review, Vol.20, 1999, nos.5-6, p.1590,n.1.
[23] Cf. Wayne Alpern, Music Theory as a Mode of Law : the Case of Heinrich Schenker, Esq., Cardozo Law Review, Vol.20, may-july 1999, nos. 5-6,1459-1511.
[24] Ibid.,1504-1506. La rencontre entre les deux hommes est possible, mais elle n’est pas prouvée.
[25] Pour plus de détails, cf. l’article de Timothy S.Hall, op.cit. supra n…., et, dans la même Revue :Wayne Alpern, Music Theory as a Mode of Law : the Case of Heinrich Schenken, Esq., 1459-1511.
[26] Cf. J.Frank, Words and Music : Some Remarks on Statutory Interpretation, 47Columbia Law Review, 1259,année 1947.
[27] Cf. D.Korstein,Music of the Laws, 1982 ; Sanford Levinson and J.M.Balkin, Law, Music and Other Performing Arts, 139 U.Pa. Law Review,1597, 1991 ; Bernard J.Hibbitts, “Common to our senses” : Communication and Legal Expression in Performance Cultures, 41 Emory L.J.873, 1992 ; Paul J.Green, Law and Music : Common Ground, Clarinet, nov.dec. 1995, 46 ; Desmond Manderson, Statuta v. Acts :Interpretation, Music, and Early English Legislation, 7 YaleJ.L. and Human.317,1995.
[28] Cf. Timothy S.Hall, The Score as Contract : Private Law and the Historically Informed Performance Movement, Cardozo Law Review, vol. 20, may-july 1999, nº 5-6, 1589-1614.
[29] Cf. Semir Zeki, L’artiste à sa manière est un neurologue, La Recherche, La naissance de l’art, numéro hors-série, novembre 2000, 100.
[30] Il faudrait aussi évoquer les recherches nord-américaines sur les liens entre le genre (masculin/féminin) et l’histoire de la musique :cf. Marcia J.Citron, Gender and the Musical Canon, 1993 ; Susan Mc Clary, Feminine Endings : Music, Gender and Sexuality,1991 ; Layne Redmond, When the Drummers were Women : a Spiritual History of Rhytm, 1997.
[31] Cf. infra notre conclusion………..
[32] L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert donne plusieurs définitions de la raison, fondées ou non sur Dieu (qui peut en être reconnu comme l’origine), ou sur la nature humaine. Par exemple (paragraphe 4) : “Par raison on peut aussi entendre l’enchaînement des vérités auxquelles l’esprit humain peut atteindre naturellement, sans être aidé des lumières de la foi”. Quant à la musique, elle est : “… la science des sons, en tant qu’ils sont capables d’affecter agréablement l’oreille, ou l’art de disposer et de conduire tellement les sons, que de leur consonnance, de leur succession, et de leurs durées relatives, il résulte des sensations agréables”. Dans l’esprit du classicisme français, cette définition combine donc raison et plaisir, le second dérivant de la première, sans aucune référence à un ordre supra-naturel.
[33] Cf. A.Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Alcan, 1926 : Raison (669-677), Rationalisme, (680-681), Intelligibilité (389), Comprendre (117).
[34] Ibid., 677.
[35] Ibid., 670.
[36] Cf. Jan M.Broekman, Droit et anthropologie, Paris, LGDJ, 1993, 64, 114-118.
[37] Cf. A.J. Arnaud, Critique de la raison juridique, Paris, LGDJ, 1980,23-32.
[38] Cf. M.Villey, Préface historique, Archives de philosophie du droit, numéro 28 : “Formes de rationalité en droit”, 1978,2-6.
[39] Pour C.Wolff (1679-1754 : il est contemporain de Rameau (autre auteur rationaliste, mais en musique), disciple allemand de Leibniz et Locke, “… l’homme rationnel est son propre législateur (…) Avec ma méthode, le droit naturel peut se joindre au droit positif avec autant de précision que la géométrie appliquée se relie à la géométrie pure”, ( cit. par M.Thomann, Un modèle de rationalité idéologique : le “rationalisme” des Lumières, Archives de philosophie du droit, ibid., 132-133).
[40] Cf. J.Freund, La rationalisation du droit selon Max Weber, ibid., 72-74.
[41] La forme musicale de la fugue est en général considéré comme une des meilleures expressions de la raison. Le 7 avril 1849, Delacroix relate dans son journal un dialogue qu’il a eu à ce sujet avec Chopin : “Je lui demandais ce qui établissait la logique en musique. Il m’a fait sentir ce que c’est qu’harmonie et contrepoint ; comme quoi la fugue est comme la logique pure en musique, et qu’être savant dans la fugue, c’est connaître l’élément de toute raison et de toute conséquence en musique”, (Eugène Delacroix, Journal, Paris, Plon, 1996, 189).
[42] C’est ce type de questionnement auquel se livre Rameau : “Comment la musique a-t-elle pu se communiquer aux hommes ? Pourquoi prend-elle tant d’empire sur nos âmes ? Pourquoi se trouve-t-il dans la nature un phénomène capable de nous en faire développer les mystères ?”, (Jean-Philippe Rameau, Musique raisonnée, Paris, Stock, 1980, 117.
[43] Cf. cependant : M.L.West, Ancient Greek Music, Clarendon Press, Oxford, 1992.
[44] Aristote, Métaphysique, A 5, 985-986.
[45] Cf. E. Fubini, Les philosophes et la musique, Paris, H. Champion, 1983, 18.
[46] Ibid., 31-34.
[47] Plotin Ennéades, V, 9,11.
[48] Cf. R.Huyghe, Dialogue avec le visible, Paris, Flammarion, 1955, 127-129.
[49] Saint-Augustin, De Musica, Livre I.
[50] Boèce, De institutione musica, Livre I, chapitre 33.
[51] Cf. M.Villey, ibid., 7-9.
Source: https://classiques.uqam.ca/contemporains/rouland_norbert/raison_musique_et_droit/raison_musique_et_droit_prelude.html